L'entretien de recrutement est-il un échange comme un autre ? Sans doute, mais avec des règles un peu particulières. On dit volontiers qu'un bon entretien suit la règle des 80/20 : 80 % de temps de parole laissé au candidat, 20 % au recruteur. Le temps, pour le recruteur de recueillir suffisamment d'informations, mais aussi celui d'en donner au candidat.
Cependant, tous ne suivent pas le même fil conducteur pour mener un entretien, ou n'ont pas les mêmes méthodes. Certains, par exemple, vont faire durer la phase de " reniflage ", celle qui permet aux deux protagonistes de faire connaissance, pour prendre des informations et pour mettre à l'aise le candidat. D?autres vont " attaquer " directement sur le CV, juste après avoir dit bonjour. D?autres, enfin, vont vous laisser commencer, sans rien dire ou presque. Ou, pire, tenter de vous déstabiliser d'entrée de jeu, même si, comme nous l'avons vu, cette mode est un peu dépassée.
Se présenter
Le recruteur vient vous chercher dans la salle d'attente ou le hall de l'entreprise. S'il ne vous demande pas directement si vous êtes bien le candidat avec lequel il a rendez-vous, prenez les devants, en donnant votre nom. Il reportera parfois sa propre présentation au moment où vous serez ensemble dans son bureau. La poignée de main doit être ferme, sans être trop appuyée. S'il vous fait passer devant lui, le recruteur vous place d'emblée en observation : votre démarche, votre " tonicité " dans votre façon de vous déplacer, votre tenue vestimentaire sont étudiées. Inutile de trop parler, même si le trajet jusqu?au bureau dure un peu. L?entretien ne commence pas dans le couloir. Contentez-vous de répondre aux questions éventuelles avec sobriété, évitez surtout d'établir des points de comparaison, par exemple, entre les locaux d'une entreprise que vous connaissez et ceux dans laquelle vous êtes.
Quand vous arrivez dans le bureau du recruteur, attendez qu'il vous invite à vous asseoir et à poser votre manteau. S'il ne vous le propose pas et qu'il s'installe directement sur son siège, ôtez votre veste ou manteau que vous déposerez sur le dossier de votre siège ou d'un siège voisin avant de vous asseoir également.
Les premiers mots échangés
La première phase, dite couramment de " reniflage " [...], est souvent prétexte à prendre des informations sur vous. Certains conseillers en carrière suggèrent aux candidats de prendre les devants pour détendre l'atmosphère, et établir ainsi un vrai dialogue égalitaire [ ...]. Mais cette phase peut aussi comporter des risques. Si le recruteur, en vous accueillant, vous demande : " Tout va bien ? Vous n'avez pas mis trop de temps à arriver ? " C?est rarement pour savoir si vous n'êtes pas trop fatigué.
Ne considérez pas ces questions comme des formules de politesse gratuites et anodines. Selon que vous allez répondre : " Je me suis perdu, c'est compliqué de vous trouver " ; " Je me suis levé à cinq heures du matin pour arriver à neuf heures parce que j?habite un peu loin " ; ou encore : " Pas du tout, à peine deux minutes ", le recruteur va recueillir les premières informations sur vous et les interpréter selon sa propre grille d'évaluation : " Ce candidat habite trop loin " ; " Il ne sait pas s'organiser ou se diriger ", ou bien : " Il est quand même très motivé pour se lever si tôt ", ou encore " Il n'habite pas loin, et il est ponctuel "... De même, s'il s'inquiète de votre santé, inutile de lui raconter le lumbago qui vous a cloué au lit pendant quelques jours.
Enfin, s'il s'informe sur l'âge de vos enfants, en jetant peut-être un regard sur la photo des siens posés sur son bureau, c'est d'abord dans un but professionnel. Pas une invite à raconter leurs premières dents. Il pourra ainsi, sans avoir l'air d'être totalement indiscret, évaluer votre disponibilité, et, si vos enfants sont petits, vous posez plus tard une question sur votre mode de garde (essentiellement, si vous êtes une femme). Vous avez tout intérêt à dire la vérité, toute la vérité, mais d'un ton positif. L?âge de vos enfants doit être un motif de satisfaction quel qu'il soit, glissez tout de suite un mot sur le mode de garde que vous avez adopté, et qui vous sied également à merveille...
Le rythme de l'entretien
Étienne Daugny, vice-président de Transition Carrières, commente les quatre phases de l'entretien.
Phase 1 : le " reniflage ". Il s'agit de se mettre en harmonie avec votre interlocuteur. Cette première phase peut durer de une à vingt ou trente minutes. Cette mise en harmonie se crée sur des éléments qui sont hors du champ professionnel. Il faut repérer un élément personnel dans le bureau. Cela peut être par exemple la photo du terrain de golf, ou remarquer, si c'est le cas : " Vous avez un beau bureau... " Au pire, parler du temps qu'il fait. J?ai une photo de bateau dans mon bureau. Cela donne souvent lieu à des phases de " reniflage " extrêmement sympathiques. Cette phase est intéressante surtout quand le recruteur est réservé ; c'est alors au candidat de placer le recruteur en empathie, à l'instar de ce qui se produit lorsque l'on reçoit des personnes dans son salon.
Phase 2 : les questions du candidat. Elles sont préparées à l'avance (lire nos suggestions dans la troisième partie), elles concernent l'entreprise, le poste à pourvoir, le marketing, les objectifs... elles ne s'improvisent pas, et peuvent demander de quelques heures à quelques jours de recherche. Quatre à cinq questions peuvent suffire.
Phase 3 : on parle de soi. C?est uniquement au moment où il a compris que sa candidature répond bien aux critères du poste, que le candidat commence à parler de lui à argumenter sur ses propres compétences en phase avec la solution proposée par l'entreprise. Peut-être au bout des deux tiers de l'entretien seulement. Le problème (ou paradoxe) du candidat est souvent qu'il veut se vendre tout de suite, et c'est la pire manière de procéder. Et si le recruteur demande au candidat de se présenter d'emblée, il doit autant que faire se peut recentrer l'entretien pour bien comprendre le poste. On ne se vend bien qu'avec des arguments qui correspondent à des besoins identifiés. Si l'on s'est aperçu que l'on ne correspond pas, mieux vaut arrêter. Sinon, on risque d'irriter son interlocuteur et de ne plus rien pouvoir lui demander par la suite, comme par exemple de vous mettre en relation avec quelqu?un d'autre.
Phase 4 : la conclusion. C?est une étape fondamentale, car c'est le pacte vers l'étape suivante. Par exemple, le candidat peut avancer : " J?ai bien noté que je pouvais rencontrer votre DRH, que vous allez le prévenir, et que je peux l'appeler lundi prochain. " Votre interlocuteur ne peut pas dire non. En termes commerciaux, cela s'appelle un " feu vert ". On peut alors travailler sur l'étape suivante.
Des mots et expression à bannir
On vous pardonnera vos hésitations quand vous n'avez pas su répondre au mieux à une question. En revanche, le recruteur risque d'être agacé par la répétition de certains défauts ou tics de langage, qui traduisent souvent un embarras plus profond. C?est seulement en vous enregistrant sur cassette, ou en présentant votre parcours professionnel à un membre de votre entourage, que vous pourrez vous en rendre compte et corriger ces expressions.
Évitez les lieux communs, proverbes et citations. Pour renforcer une pensée, une idée, une expérience qui vous ont servi de leçon, puisez des exemples dans votre expérience professionnelle plutôt que de faire appel au dictionnaire des citations.
Attention à l'utilisation des pronoms personnels. N?hésitez pas à utiliser le " je " et le " nous ", même pour décrire une expérience qui a échoué mais dans laquelle vous étiez partie prenante. Mais évitez les expressions du style : " J?ai bien réussi à négocier le marché, mais ils n'ont pas concrétisé la vente. " Si vous avez un regret à exprimer face à une affaire qui n'a pas abouti, nommez précisément les services concernés, sans utiliser les " ils ", " nous ", " eux "... Lors des entretiens de recrutement auxquels nous avons assisté, les recruteurs demandaient systématiquement au candidat de préciser ce que ces pronoms recouvraient.
Attention aux " expressions de connivence ". Typique du candidat embarrassé qui a besoin de se rassurer, les mots et expressions de connivence visent à associer le recruteur à sa propre situation et souvent à ses difficultés. Exemple : " Vous devez bien savoir, vous, comme c'est dur de diriger des gens dans une grosse boîte ", ou bien " Ça se passe comme ça, chez vous, aussi ? Parce que nous, on n'a pas réussi à résoudre le problème. " Si l'échange peut vous sembler très convivial, voire presque amical, ne perdez jamais de vue le contexte professionnel de l'entretien. Le recruteur n'est pas un collègue.
En cas de retard
Vous avez un agenda chargé ? Vous êtes en poste et n'avez pu terminer à temps une réunion pour arriver à l'heure au rendez-vous ? Prévenez absolument de votre retard avant d'arriver. Difficultés de transport, situation professionnelle délicate à régler, tout peut se concevoir à condition de l'expliquer, de ne pas bloquer le recruteur, de ne pas l'énerver. Si, à l'inverse, c'est lui qui a pris du retard pour vous recevoir, vous pouvez raisonnablement attendre une vingtaine de minutes. Au-delà, vous pouvez vous renseigner auprès de l'accueil : " Avez-vous une idée de l'heure à laquelle je vais être reçu...? Y a-t-il un problème ? "
Parmi les tentatives de déstabilisation, le retard volontaire n'est plus vraiment de mise aujourd?hui. Lorsque c'est le cas, le recruteur veut tester la résistance à l'impatience et au stress du candidat. Si vous postulez pour un poste de visiteur médical, vous devrez par exemple attendre votre tour dans les salles d'attente des médecins.
Entretien d'embauche, prenez la bonne attitude !
Mains tremblantes, hésitations sur le choix des mots... Le début d'un entretien est presque toujours perturbant pour le candidat. Conseils pour le réussir.
Le début d'un entretien est presque toujours perturbant pour le candidat. Mains tremblantes, hésitations sur le choix des mots, efforts de mémoire pour se souvenir de ce que l'on a retiré de telle ou telle expérience... Un candidat stressé se détend en principe au bout de cinq à quinze minutes. " C?est alors qu'il va se dévoiler, explique une consultante. Détendu, il va pouvoir se livrer et nous allons vraiment le découvrir. " Un entretien doit durer au moins vingt minutes, c'est tout au moins la durée minimale de " politesse " accordée aux candidats qui ne conviennent manifestement pas. Il peut cependant se poursuivre et prendre une heure, voire une heure et demie ou deux heures, et c'est plutôt bon signe. Dans ce cas, le recruteur tente souvent d'aller " au bout " des informations qu'il peut obtenir sur le candidat, pour envisager à la fois ses capacités et son envie d'occuper un premier poste, mais aussi son ambition et ses perspectives d'évolution dans un avenir plus lointain.
Utiliser la prise de notes et le CV
" Pendant le premier rendez-vous avec le cabinet de recrutement, j?ai toujours pris un maximum de notes, explique Laurence [...]. C?est le moment de récolter des informations sur l'entreprise, quitte à éclairer soi-même par la suite des points qui nous semblent obscurs. Mais face à la directrice générale de l'entreprise qui m?a recrutée comme directrice financière, je suis arrivée sans aucun document. Il faut apparaître suffisamment sûr de soi à l'étape finale d'une procédure de recrutement. "
Faut-il prendre des notes pendant l'entretien ? Il n'existe pas de règle et vous ne serez pas jugé là-dessus. Si c'est votre mode de fonctionnement habituel, n'hésitez pas à le faire. Par ailleurs, la prise de notes présente un avantage majeur : elle permet de ne pas oublier les questions que vous désirez poser au recruteur lors de sa présentation du poste ou de l'entreprise, sans avoir à lui couper la parole.
La majorité des recruteurs écrivent avec un crayon à papier, vous pouvez faire de même. Cela rend vos notes pratiquement illisibles pour votre vis-à-vis. Veillez cependant à continuer à regarder votre interlocuteur dans les yeux et à ne pas trop baisser la tête. Vous devez apporter votre CV, vous pouvez le déposer sur la table, mais évitez de le regarder au cours de l'entretien : vous êtes censé le maîtriser de A à Z.
À éviter absolument : s'emparer de documents présents sur le bureau du recruteur pour étayer son propos. Cela vous paraît évident ? Pas si sûr pourtant... " Des candidats cherchent à lire les documents que nous avons devant nous ou les notes que nous prenons ", constate une responsable de recrutement.
" Certains peuvent aller jusqu?à nous prendre des mains un papier que nous sommes en train de lire (dossier de candidature ou CV) pour pouvoir répondre à la question que nous leur posons, poursuit-elle. Ce genre de détails nous fait redoubler de prudence sur la personnalité du candidat : caractère inquisiteur, sans confiance ni en lui, ni en l'autre... "
Se détendre et détendre
Il est nécessaire de ne pas s'essouffler, de respirer, de s'autoriser des silences, des sourires et même du second degré. " Quelle était l'ambiance de travail dans cette entreprise que vous avez quittée ? " demande la recruteuse. Hésitation. " L?ambiance était... automobile ", répond alors le candidat, faisant référence aux caractéristiques d'un secteur qu'il décrira ensuite. Ce qui fait sourire son interlocutrice. Sans évidemment aller trop loin dans la boutade, un peu d'humour sur sa propre situation peut mettre en valeur un recul et un sens de l'analyse dont sont friands les recruteurs, surtout pour les postes de cadres. Décrire une difficulté d'évolution professionnelle dans son entreprise en usant du second degré peut être une excellente méthode. [...].
Gérard Dumont, comédien, a été contacté pour un jeu de rôle un peu particulier. On lui a demandé de " jouer le candidat " face à de jeunes consultants en recrutement peu ou pas préparés à mener des entretiens d'embauche. " Ils se retrouvent face à des cadres qui ont parfois une cinquantaine d'années et ne sont pas toujours très à l'aise. Certains prennent des attitudes d'enseignants extrêmement dirigistes et induisent les réponses. Ce qui donne souvent des résultats assez catastrophiques. Un candidat qui sait en jouer va où on lui dit d'aller ; il apporte des réponses induites par les questions. Et peut complètement tromper une entreprise par la suite. " Les faux entretiens se font sur la base de vrais CV, ce qui permet de révéler les points sur lesquels le consultant a des failles.
" Ce qui est important à intégrer pour le recruteur comme pour le candidat, c'est qu'il faut au maximum parler vrai. Pour parvenir à savoir des choses sur l'autre, il faut établir une vraie confiance. Le candidat doit aussi savoir arrêter le recruteur quand il va trop loin. Il arrive que le recruteur provoque le candidat, en interprétant des éléments de façon abusive, c'est aussi de sa part un moyen de voir comment le candidat sait s'affirmer, apporter plus de clarté sur sa personnalité. "
Bien aborder la phase des questions
Après la prise de contact, la phase d'investigation peut commencer. Le recruteur vous pose des questions sur votre parcours, votre cursus, vos choix... Certains induisent les réponses : " Si vous avez fait cela, c'est peut-être parce que vous pensiez que... " Si vous pensez qu'il a mal interprété un choix que vous avez fait, ne dites pas : " Non, ce n'est pas pour ce que vous dites, c'est parce que... ", mais dites : " c'est plutôt pour... " D?autres vous laissent plus libre dans vos explications et votre interprétation : " Expliquez-moi pourquoi vous avez fait cela à ce moment-là "... Apprêtez-vous à répondre le plus précisément possible aux questions. Et surtout sans précipitation.
Répondre trop vite peut être considéré comme une tentative de dissimulation. " Maîtrisez-vous bien les outils de communication (Internet, intranet, etc.) ? " demande une recruteuse débutante à une candidate très sûre d'elle, à l'occasion d'une formation à la préparation de l'entretien de recrutement de Bernard Bruche. " Bien sûr, je n'ai aucun problème pour maîtriser ces outils ", répond précipitamment la candidate, en se redressant sur sa chaise et en faisant comprendre que la fin de la phrase était un point final. " Attention, elle vous a menti, prévient la formatrice. Elle a répondu beaucoup trop vite, avec une assurance feinte. " Un recruteur expérimenté va creuser ce point en demandant à la candidate des exemples concrets prouvant cette maîtrise.
Trois fois oui égale? non !
Technique éprouvée pour clore un entretien quel qu'il soit, la reformulation permet normalement de terminer sur un véritable échange. Un procédé utile, surtout si le recruteur s'est montré plutôt directif, utilisant beaucoup de questions fermées.
De votre côté, vous pourrez évaluer, à l'aune de l'enthousiasme mis à vous répondre, vos chances de poursuivre le processus de recrutement. N?insistez pas trop si vous voyez que votre interlocuteur s'agace et lorgne du côté de la porte, derrière laquelle s'impatiente peut-être un autre candidat.
Un signe qui ne trompe pas. Le recruteur prend les devants de la reformulation et vous fait répondre trois fois de suite oui , selon les principes de la maïeutique. Une technique enseignée aux recruteurs lors du stage " Entretien de recrutement : apprécier les compétences d'un futur collaborateur ", chez Docendi.
Exemples. " Alors, vous avez bien compris que le poste était à pourvoir dans la Somme ? " Or, vous avez exprimé le désir de travailler à Marseille au cours de l'entretien.
" Pour ce poste, la connaissance essentielle recherchée est la maîtrise parfaite de l'anglais. Vous êtes bien d'accord ? " Votre niveau d'anglais est celui de la classe de terminale.
" Vous êtes toujours en poste, et ne pourrez vous libérer que dans trois mois, c'est bien ce que vous m?avez indiqué ? " Le poste est à pourvoir dans l'urgence. Il sera alors temps de saluer poliment le recruteur sans plus insister. Il vous a fait comprendre que votre candidature n'était pas retenue.