sept. 16, 2018, 17:07
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les managers se focalisent davantage sur le sourcing des candidatures et l'entretien, l'efficacité d'un recrutement passe avant tout par une bonne définition du besoin et de son expression. L‘avis de Didier Goutman, consultant RH et formateur.
Pourquoi accorder autant d’importance aux phases amont du recrutement ?
Parce que, dans l’urgence et l’envie de bien faire, trop de recrutements s’engagent de fait trop vite, sans une idée vivante de qui est réellement recherché ! Trop d’annonces aujourd’hui par exemple décrivent ainsi précisément des fonctions, mais ne qualifient pas clairement des individus pour les tenir. Elles listent – de façon parfois très logique et très complète – des compétences et des qualités requises, mais sans réaliser qu’il n’existe sans doute personne en réalité qui puisse les détenir toutes en même temps. Or, si je ne sais pas qui je cherche en amont, d’une façon réaliste… je ne saurai pas qui choisir en aval, une fois confronté à des candidats réels, par nature imparfaits. Trop de recrutements ne débouchent ainsi pas, ou mal, ou difficilement, simplement parce que le besoin n’a pas été défini avant d’une façon suffisamment « individualisée ».
Ça semble pourtant évident… Qu’est-ce qui fait que cette dimension n’est souvent pas ou mal prise en compte ?
« Le recrutement est un métier spéculatif : il y a toujours une prise de risque, un pari, sur des bases d'informations toujours partielles. »
L’entreprise – surtout grande – est de culture analytique, et en quête de certitudes. Elle sait ainsi très bien construire des fiches de poste détaillées. Mais elle a ensuite du mal à passer de cette logique de poste – descriptive et rationnelle – à la recherche d’un individu, avec ses qualités, ses limites et ses motivations propres. Et du mal aussi à passer d’une logique raisonnée déductive exhaustive – qui est celle du processus – à une logique synthétique et spéculative qui est celle du recrutement. Car le recrutement est par nature un métier synthétique – au final il faudra choisir un individu dans sa globalité au détriment de tous les autres –, et un métier spéculatif, parce qu’il y a toujours une prise de risque, un pari, sur des bases d’informations toujours partielles.
Comment faire concrètement pour être ainsi plus juste et plus efficace ?
C’est simple… au moins en principe. S’il est normal en effet de commencer la réflexion par la prise en compte d’une fiche de poste détaillée, la fiche de poste en elle-même ne saurait constituer le brief du recruteur. Il y a une phase d’élaboration à réaliser entre les deux, pour passer d’une définition « à plat »… au portrait potentiel d’un individu réel ! Et cette étape suppose d’abord de se construire une vision cette fois synthétique du poste autour d’un nombre limité de missions majeures. Puis d’élaborer du candidat recherché une vision également réaliste autour d’un ensemble réduit de qualités et de compétences clés associées. Tant qu’on n’a pas fait ce travail de « réduction » logique, on reste encore à un niveau trop théorique pour concerner quelqu’un en particulier. Pendant tout le recrutement lui-même, il faut pouvoir se concentrer sur l’essentiel en effet, et donc distinguer clairement en amont les items majeurs de ceux qui ne le sont pas.
Mais pourquoi est-ce si important au fond ?
D’abord parce que seule une vision synthétique de qui je cherche, permet une approche, une comparaison, un choix raisonné. Quand les critères de recherche sont trop nombreux, ils sont trop flous. L’évaluation des candidats devient alors très complexe pour le recruteur (évaluer deux qualités clés en une heure chez un individu, c’est relativement facile, six ou huit c’est improbable), leur comparaison presque impossible, les décisions donc d’autant plus difficiles à prendre et à justifier. Surtout dans des logiques collectives où les intervenants de la décision sont souvent nombreux. Ensuite parce que seule une vision synthétique – autour de quelques compétences ou qualités majeures indispensables – va laisser la place suffisante à la « spéculation » nécessaire à tout recrutement. Le candidat parfait en effet n’existe jamais. Tout recruteur sait qu’il va donc devoir composer avec une réalité limitée, et choisir entre des individus qui n’auront jamais toutes les qualités requises (et dont on attend en plus qu’ils soient motivés, et pas trop exigeants en termes de rémunération). C’est pourquoi la vision de ce qui est essentiel est clé pour imaginer ce qui pourra être à partir de ce qui n’est pas encore… mais sur des bases pourtant réalistes.
Et pour quelles autres raisons ?
Enfin – et sur un autre plan – je crois que c’est aussi la seule façon d’être réellement non discriminant dans ses approches. Imaginons par exemple que je cherche un candidat à la fois très rigoureux et véritablement capable de coopération – et les deux qualités ensemble ne sont déjà pas si fréquentes… Si ce sont ces deux qualités réunies qui guident mon approche du recrutement concerné, alors peu m’importe que le candidat correspondant soit plus jeune ou plus âgé, un homme ou une femme, d’origine française ou étrangère, handicapé ou non ?
Par contre si je cherche un candidat à la fois capable d’analyse et de synthèse, de rigueur et de transversalité, d’autonomie et de goût du reporting, de qualités de rédaction et d’expression orale, de créativité et de leadership, comme je ne le trouverai jamais… comment vais-je choisir au final ? Le risque est que je me réfugie dans une vision prudemment conventionnelle du candidat convenable, selon les critères culturels en vigueur…
Ce qui est vrai de recrutements externes l’est-il aussi quand il s’agit de mobilité interne ?
Oui, et c’est même sans doute
plus important encore ! Car plus un poste est exprimé en une longue suite d’exigences impératives factuelles a priori… moins il ouvre de possibilités d’accès à ceux qui n’ont pas déjà tenu un emploi équivalent. Alors qu’une approche plus synthétique, une vision plus ouverte autour de quelques items clés permet bien d’être plus spéculatif, et donc – pourquoi pas- d’offrir dans de bonnes conditions une vraie chance de progrès à qui n’a pas encore fait le job mais pourrait parfaitement y satisfaire… Au final, en effet,
bien recruter, c’est aussi toujours donner une chance à celui que l’on recrute. Une chance d’innover, de se confronter à ce qu’il ne connaît pas encore, de découvrir d’autres possibilités, d’autres difficultés, d’autres leviers de progrès.
Plus on va ouvrir ainsi de portes en amont, plus on va donner de chances à des collaborateurs impliqués d’évoluer… et mieux on pourra les motives sur la durée. La performance collective ne suppose-t-elle pas en effet que chacun puisse trouver durablement une place individuelle qui soit vraiment la sienne ? Où il puisse s’épanouir et s’affirmer… au service de tous.